Les secrets nutritionnels des termites dévoilés par leur microbiote

Le bois paraît indigeste, et pourtant ces insectes s’en repaissent avec une efficacité déroutante. Par un jeu d’enzymes et d’alliances, la dégradation de la cellulose devient possible grâce à une symbiose microbienne sophistiquée.

Ce succès digestif s’appuie sur des communautés de bactéries, d’archées et de protozoaires qui transforment les fibres en acétate, en hydrogène, parfois en méthane. Selon l’espèce et la caste, le microbiote intestinal diffère, ce qui remodèle la nutrition des termites en énergie, en azote réutilisable, et en micronutriments issus de la fixation ou du recyclage. Le bois devient ressource.

Que mangent vraiment les termites ?

Les termites tirent leur énergie de résidus végétaux et de matériaux en décomposition. Ils exploitent du bois mort mais aussi des fibres où la lignocellulose domine, grâce à une digestion en synergie avec leur microbiote, qui oriente les préférences selon la saison et les colonies :

  • Bois et branches décomposés
  • Feuilles et litière
  • Graminées et racines mortes
  • Champignons Termitomyces
  • Matières fécales recyclées

Selon l’espèce et l’accès aux substrats, les régimes s’éloignent de l’image du xylophage strict. Cette variabilité alimentaire se lit dans le choix des proies fongiques ou herbacées, tandis que les sources azotées proviennent du recyclage des excréments, de symbioses fixatrices et de pratiques d’allonourrissement.

Symbiose intime : bactéries, archées et protozoaires à l’œuvre

Le tube digestif des termites forme un bioréacteur segmenté où l’oxygène disparaît rapidement. Là, des protozoaires flagellés associés à des bactéries anaérobies morcellent les fibres, libèrent des sucres et amorcent les fermentations, tout en maintenant des gradients de pH et de redox favorables au fonctionnement collectif.

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Les échanges métaboliques stabilisent l’écosystème intestinal et nourrissent l’hôte via des acides gras comme l’acétate. Au cœur des derniers segments, les archées méthanogènes consomment l’hydrogène issu des fermentations, et l’équilibre du consortium se perpétue grâce à la transmission par trophallaxie, lors d’échanges de nourriture et de salive.

À noter : les termites contribueraient à environ 1–3 % des émissions naturelles de méthane à l’échelle mondiale, selon les estimations issues de mesures de terrain et de bilans biogéochimiques.

Comment le microbiote déverrouille la cellulose ?

Dans le bois, les fibres sont prétraitées par mastication et salive, puis livrées au hindgut anaérobie des termites. Là, des protozoaires flagellés et des bactéries adhèrent aux particules et orchestrent des voies hydrolytiques coordonnées. Le cœur de l’action repose sur des enzymes cellulolytiques sécrétées et ancrées, qui clivent la cellulose pour alimenter la suite du processus.

Les produits intermédiaires, cellobiose et oligosaccharides, sont ensuite partagés entre microbes compétents en fermentation. En parallèle, la déconstruction vise aussi la hémicellulose et pectines, traitées par xylanases, pectinases et esterases. Cette diversité catalytique s’imbrique grâce à une coopération enzymatique où chaque partenaire complète l’autre, ce qui accélère la libération de sucres fermentescibles et stabilise les flux métaboliques.

Fermentation et cycles de l’azote chez l’insecte : quels apports nutritionnels ?

Dans le proctodeum, la fermentation anaérobie convertit les sucres en métabolites utilisables par l’hôte. Les acides gras volatils issus de cette chimie — acétate dominant, avec propionate et butyrate — diffusent vers l’hémolymphe et servent de carburant pour la thermorégulation, l’activité et la synthèse lipidique.

Le bois manque d’azote assimilable, ce qui exige des solutions microbiennes internes. Des symbiotes opèrent la fixation de l’azote atmosphérique et transforment N₂ en ammonium intégré aux voies anaboliques. Parallèlement, le recyclage de l’urée régénère des pools azotés et soutient le bilan énergétique en limitant les pertes, tandis que l’assimilation de biomasse microbienne fournit vitamines et acides aminés.

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ProcessusMicroorganismes impliquésSubstratsProduitsBénéfice pour l’hôteLocalisation
Fermentation des sucresProtozoaires flagellés, bactéries anaérobiesGlucose, cellobioseAcétate, propionate, butyrateSource de carbone et d’énergieHindgut (paunch)
AcétogenèseBactéries acétogènes (Firmicutes, Spirochaetes)H₂, CO₂AcétateCarburant majeur pour les tissusZones anoxiques du hindgut
MéthanogenèseArchées méthanogènesH₂, CO₂ ou acétateCH₄Évacuation d’électrons, équilibre redoxHindgut
Fixation de l’azoteDiazotrophes (p. ex. spirochètes)N₂NH₄⁺Apport d’azote pour acides aminésBiofilms intestinaux
UréolyseBactéries uréolytiquesUréeNH₃, CO₂Récupération d’azote endogèneHindgut
Assimilation de biomasse microbienneCommunauté entièreBiomasse microbienneProtéines, vitamines BComplément azoté et micronutrimentsTrophallaxie et digestion

Des castes aux régimes différenciés : qui bénéficie de quoi ?

Dans chaque colonie, ouvriers, soldats et reproducteurs n’ont pas la même ration, ni la même microflore. Vous verrez des repas qui circulent par trophallaxie et par pré-digestion des fibres du bois. Le polymorphisme des castes façonne la capacité à broyer, stocker et transmettre les symbiotes. Par ailleurs, le rôle des ouvrières inclut la récolte, l’ensemencement des aliments et le maintien de la diversité microbienne.

Pour nourrir tous les rôles, la ration s’organise par âge et par tâche. Les besoins reproducteurs demandent plus d’azote et des stérols, alors que le partage des nutriments règle qui reçoit quoi. Répartition typique :

  • AGV pour l’effort des soldats.
  • Azote microbien pour la reine et les larves.

Peut-on comparer le microbiote des termites à celui des ruminants ?

Ruminants et termites dépendent d’une digestion anaérobie de la cellulose. Chez les bovins, le rumen, et chez les termites, l’intestin postérieur, jouent le rôle de chambre de fermentation où bactéries, archées et eucaryotes transforment les fibres. Vous y verrez une convergence fonctionnelle sur la production d’acides gras volatils, avec l’acétate qui alimente l’hôte.

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Les communautés ne sont pas identiques, ni leurs substrats. Des différences écologiques séparent herbes fraîches, bois et litières, ce qui modifie la chaîne trophique et les gaz émis. Une profonde coévolution hôte-microbes a façonné rumination, trophallaxie et anatomies, avec des vitesses d’échange et des gradients d’oxygène propres à chaque système.

Chez les termites supérieurs, l’acétate domine et la méthanogenèse demeure faible; dans le rumen, le méthane et le propionate augmentent avec les concentrés.

Implications pour la santé des colonies et l’écologie des sols

Pour la colonie, l’équilibre digestif des ouvrières conditionne la croissance et la survie. Quand la stabilité du microbiote est préservée, l’énergie issue des acides organiques circule mieux et la résistance aux perturbations augmente, face au stress thermique, aux insecticides ou aux pénuries, réduisant les dysbioses et la transmission de pathogènes.

Le remodelage des galeries et des monticules aère la terre, accélère la décomposition des débris végétaux. Ces processus soutiennent la fertilité des sols et participent au cycle du carbone, via la formation d’humus, la séquestration organique et des flux gazeux mesurables dans les termitières tropicales.